Actualité du mercredi: le prix Nobel de littérature d’Olga Tokarczuk
Publié : 16/10/2019 Classé dans : Actualités, Femmes écrivains, Pologne, Prix, Traducteurs/traductrices | Tags: Tokarczuk 12 CommentairesLe mercredi, je vous apporte une actualité concernant la littérature d’Europe centrale et orientale.
« Cărtărescu sera-t-il l’un des deux lauréats du Nobel de littérature, comme aiment à le prédire certains ? Ou sera-ce un autre auteur d’Europe centrale, les hongrois László Krasznahorkai ou Péter Nádas, ou la polonaise Olga Tokarczuk, ou l’albanais Ismail Kadaré, dont les noms circulent aussi ? Ou aucun d’entre eux ? »
La réponse est tombée jeudi dernier : ce n’est pas Cărtărescu, ni Krasznahorkai, ni Nádas, ni Kadaré, ni l’écrivaine d’origine croate Dubravka Ugrešić, ni la romancière russe Ludmila Oulitskaïa, ni même Haruki Murakami, César Aira ou Ngugi wa Thiong’o, au grand dam de ceux qui avaient pris au pied de la lettre l’annonce du comité de sélection du Nobel de littérature que le choix serait, cette année, moins eurocentré.
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« une imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, symbolise le dépassement des frontières comme forme de vie » (Académie suédoise)
Mais c’est bien à Olga Tokarczuk qu’a été décerné le prix Nobel de littérature 2018 (aux côtés de Peter Handke pour l’année 2019), une consécration pour une autrice déjà reconnue depuis longtemps en Pologne et que de nombreuses traductions contribuent également à faire connaitre à l’étranger depuis plusieurs années.
Plutôt que de faire une énième biographie retraçant sa naissance en 1962 dans une famille d’enseignants, ses études de psychologie (« j’étais bien plus névrosée que mes clients », a-t-elle affirmé plus tard à propos de ses années de travail comme psychologue clinicienne), les prix littéraires accumulés au fil des ans (le Niké polonais, deux fois ; le Man Booker International Prize en 2018 et, la même année, le prix Jan Michalski), ses dreadlocks ou ses positions politiques, je vous propose une petite revue de presse.
« Tokarczuk elle-même se décrit comme une personne sans biographie », nous dit L’Obs, citant une interview de l’écrivaine pour l’Institut du livre polonais. Le titre de cet article, « Olga Tokarczuk, une littérature toujours en mouvement », fait écho à celui du Figaro (« Olga Tokarczuk, de partout et de nulle part ») qui ajoute prudemment que « ses romans, bien qu’ils ne soient pas très faciles à lire, sont des best-sellers dans son pays ». Le Temps, lui, évoque « un humour affirmé et une plume magnifique [exercée], de livre en livre, dans des registres très différents », tout en soulignant qu’il s’agit de la quinzième femme sur 114 lauréats à recevoir le Prix Nobel de Littérature. Il faut se reporter à L’Est Eclair pour apprendre qu’Olga Tokarczuk est la sixième lauréate polonaise de ce prix, après Henryk Sienkiewicz (1905), Władysław Reymont (1924), Isaac Bashevis Singer (1978), Czesław Miłosz (1980) et Wisława Szymborska (1996). Pour terminer, Ouest France nous invite à nous tourner vers l’avenir : Patrick Deville, directeur de la Maison des Ecrivains Etrangers et des Traducteurs, y annonce que le Prix Laure Bataillon de la meilleure œuvre traduite sera décerné à Olga Tokarczuk le 23 novembre à Saint-Nazaire, en présence de l’écrivaine et de sa traductrice (l’article ne précise pas laquelle mais il s’agit de Maryla Laurent, pour Les livres de Jakób).
Parlons traduction, justement : l’Association Polonaise des Traducteurs Littéraires a compilé une liste des œuvres d’Olga Tokarczuk disponibles en langues étrangères, depuis la première traduction (en 1996, en danois, E.E.) jusqu’à la dernière en date, parue en Albanie le mois dernier, Gra na wielu bębenkach. A ma connaissance, ces deux livres ne sont pas encore traduits en français. C’est au total 192 traductions qui ont été réalisées, par 90 traducteurs et traductrices, en 37 langues allant de l’arabe au vietnamien. C’est grâce au travail de quatre personnes que nous pouvons la lire en français : Margot Carlier (qui s’était présentée sur ce blog), Grażyna Erhard, Christophe Glogowski et Maryla Laurent.
Et pour terminer : ses livres. C’est Christophe Glogowski qui a réalisé la première traduction française d’Olga Tokarczuk, Dieu, le temps, les hommes et les anges (Laffont, 1998 ; Prawiek i inne czasy, 1996), « un conte ponctué de purs moments d’émotion, de fragiles instants de vérité saisis au vol par une plume d’une fraîcheur et d’une originalité peu commune ». Le site WODKA en parle comme d’un roman à lire plus « comme une parabole nourrie de thèmes religieux » que comme un roman historique et le trouve « plus reposant » que « l’époustouflant » Les Livres de Jakób.
Sorti l’année dernière aux Editions Noir sur Blanc, Les Livres de Jakób (Księgi Jakubowe, 2014) est « une réussite absolue », une « épopée universelle sur l’émancipation, la culture et le désir » dans laquelle on retrouve autant « les tragédies du temps » que « les merveilles de la vie quotidienne » de l’Europe des Lumières. Christlbouquine conseille de lire les 1040 pages du roman « dans sa version papier, car il comporte un nombre assez conséquent de reproduction de gravures qui proviennent en majorité des collections de la Bibliothèque Ossolineum de Wroclaw. Et la liseuse ne rend sans doute pas justice au travail de mise en page et d’impression. » Dans un bel article dans 24heures.ch, Cécile Lecoultre rend compte autant de « ce pavé au siècle des Lumières [qui] se vautre sans effroi ni remord dans le savoir encyclopédique » que de la démarche d’Olga Tokarczuk pour ce premier roman historique.
Entre ces deux livres, on trouve aussi Maison de jour, maison de nuit (Robert Laffont, 1998 et 2001), Récits ultimes (Noir sur Blanc, 2007), Les Pérégrins (Noir sur Blanc, 2010), Sur les ossements des morts (Noir sur Blanc, 2012) et Les enfants verts (Editions la Contre Allée, 2016).
« un roman arborescent, à la manière d’Internet, dans lequel elle explore toutes les dimensions d’un même lieu » (Le Monde, mars 2001, à propos de Maison de jour, maison de nuit).
« les fils de ces récits s’entrecroisent secrètement, dessinent le kilim d’une condition humaine nomade, magique et mortelle » (Le Temps, décembre 2007, à propos de Récits ultimes).
« les Pérégrins regorge de contes qui donnent tantôt l’impression d’avoir été soigneusement rassemblés, tantôt de sortir tout droit de votre imagination » (entretien avec John Freeman, Libération, octobre 2019).
« L’ouvrage contient un grand nombre d’idées originales, par exemple la création d’un Wikipédia inversé, une encyclopédie des choses qu’on ne sait pas. » (Le blog du Pollen Iodé, janvier 2017, à propos de Les Pérégrins).
« Sur les ossements des morts se révèle un roman inconfortable (et donc recommandable) parce qu’aux marges de plusieurs genres (policier et fantastique, au moins) mais aussi parce que loin de tout manichéisme. » (Tête de lecture, mars 2015).
« Les enfants verts est un récit tendre, teinté d’humour et de cynisme, qui raconte à la manière des fables d’antan ces choses que l’on n’ose croire de peur de paraître candide et par trop rêveur » (Un fil à la page, mai 2017)
Une présentation un peu plus longue d’un livre trouvé récemment chez Lireetmerveilles (et je la remercie pour cette découverte) et qui montre une autre facette de l’écrivaine : Une âme égarée (Format éditions, 2018), album traduit par Margot Carlier et illustré par Joanna Concejo. « Une réflexion profondément émouvante sur notre capacité de vivre en paix avec nous-mêmes, de rester patients, attentifs au monde », nous dit la maison d’édition, présentation que Lireetmerveilles complète ainsi : « Une merveille et une réussite à tout point de vue. La conception narrative, par les mots autant que par l’image, est originale et lui donne ainsi toute sa profondeur. »
Pour terminer, une bonne-mauvaise nouvelle venue de Le Matin : « Olga Tokarczuk travaille actuellement sur un long livre qui se déroule en Silésie, nous précise encore Vera Michalski [qui dirige les Editions Noir sur Blanc]. Mais son prix Nobel risque de lui faire prendre un peu de retard. »
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I believe in a literature that unites people and shows us how very similar we are, that makes us aware of the fact that we’re all joined together by invisible threads. That tells the story of the world as if it were a living and unified whole, constantly developing before our eyes, in which we are just a small but at the same time powerful part. (Olga Tokarczuk en réaction à son prix Nobel, via lithub.com).
J’ai découvert cette auteure avec « Sur les ossements » des morts, dont j’avais aimé l’atmosphère étrange, et le mélange des genres. Pour fêter ce Nobel, Nathalie de « Chez Mark et Marcel » et moi avons programmé une LC autour d’Olga Tokarczuk pour le 15/12. L’occasion de me donner le courage de sortir « Les livres de Jakob » de ma PAL. Si tu as envie de nous accompagner, il n’y a pas de titre imposé..
Ce sera très volontiers! Je suis tentée de commencer avec Dieu, le temps et les anges. Je m’en vais lire ce que tu as pensé d’Une matinée perdue.
Chic ! J’en informe Nathalie..
As-tu lu des romans de cette autrice?
Pas encore, mais cela ne peut que changer!
ce qui m’a réjouis c’est que j’ai encore au moins 3 livres à lire d’elle, une très belle reconnaissance qui fait plaisir
Et moi huit si je me limite à ce qui est traduit en français!
Oh, je te remercie pour le lien ( en lisant ton article, je m’apprêtais à te parler de ce magnifique album :)). J’ai été ravie de ce Nobel ( qui permet aussi de mettre en avant les éditions Noir sur Blanc ), il me reste un souvenir fort de » Sur les ossements des morts « . J’ai noté depuis un moment déjà Les Pérégrins ( Les livres de Jakob m’impressionne un peu )
Je ne connaissais pas du tout la maison d’édition Format, donc j’étais aussi contente de la découvrir grâce à toi. J’étais moi aussi très agréablement surprise de voir le nom d’Olga Tokarczuk (mais un peu peinée pour tous les non-Européens à qui le prix passe à nouveau sous le nez). Le travail des éditions Noir sur Blanc est remarquable, j’acheterais bien une bonne partie de leur catalogue si je ne craignais pas de casser mes étagères et mon compte en banque.
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[…] Je serai curieuse de lire l’avis d’autres participant.es à la lecture commune autour de Tokarczuk que je propose aujourd’hui avec Et si on bouquinait ? s’ils-elles ont aussi lu Récits ultimes. Cette chronique est aussi une contribution au Mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran, et à l’initiative « Voisins Voisines » d’A propos de livres, visant à mettre un coup de projecteur sur la littérature européenne contemporaine. J’avais aussi présenté Olga Tokarczuk et son œuvre de manière plus générale lorsque lui avait été décerné le prix Nobel de littérature. […]