Paul Auster – Moon Palace
Publié : 15/09/2022 Classé dans : Lectures communes, Lectures-désorientation 25 Commentaires
Wikipedia me dit que Paul Auster était né de parents juifs originaires d’Europe centrale, mais ce n’est pas ce qui m’a poussé à faire une escapade du côté des Etats-Unis. De toute manière il n’y a pas grand-chose de centre-européen dans Moon Palace.
Ça ne m’a pas empêché de profiter du livre : bien au contraire, je l’ai quasiment inhalé sans du tout lui en vouloir des rebondissements improbables qui s’y succèdent. Roman d’apprentissage (entre autres choses), il met en scène un jeune homme désargenté, perdu dans le New York des années 1960.
It was the summer that men first walked on the moon.
J’ai trouvé qu’il y avait parfois un petit air de Dickens dans ce roman, avec cet oncle Victor attachant et détaché de la vie pratique (je le voyais sous les traits du Mr. Micawber de David Copperfield), le dur et arrogant infirme, M. Effing, et ce jeune homme – le narrateur – en mal de bons conseils. Il y a d’ailleurs un léger côté victorien à Moon Palace, avec ses histoires de filiations retrouvées et d’héritages perdus. Mais c’est une comparaison qui ne m’est venue à l’esprit qu’une fois bien entrée dans le livre, et je me demandais bien au début où ce récit allait nous mener.
Après la rencontre avec M. Effing, j’ai commencé à voir que ce roman n’était pas juste à propos d’un jeune homme qui voudrait écrire, mais aussi une sorte de description de l’apprentissage de l’écriture, avec ces promenades au cours desquelles M. Effing, aveugle, exige de notre narrateur-héros transformé en jeune homme de compagnie qu’il lui décrive tout ce qu’il voit avec la précision la plus grande et le vocabulaire le plus riche possibles. Il y a d’ailleurs ici un petit clin d’œil à Flaubert.
Un peu plus tard, il y aura l’amorce d’un de ces rebondissements dont Moon Palace est fait, celui où M. Effing et notre héros se lancent dans l’écriture de la notice nécrologique qui doit révéler au monde entier qui était réellement le vieillard, entre autres secrets.
“This is it,” he said, “the moment of truth. We start writing today.”
A partir de là, le côté victorien s’estompe : le contexte géographique est tout simplement trop différent ! La jeunesse de M. Effing, celle qui doit être au cœur de la notice, c’est le début du XXe siècle, dans les Etats-Unis des grands espaces que M. Effing traverse alors à cheval, boite de peinture en bagage et guide louche aux commandes, dans des contrées de plus en plus arides, reculées et inconnues.
Où tout cela va-t-il mener M. Effing et notre narrateur (et nous) ? Vers un drame, bien sûr. Et pourquoi ce titre, Moon Palace ? Evidemment le mieux est de lire le roman pour le savoir. Pour ma part, je le relirai certainement pour mieux comprendre pourquoi je me suis si facilement laissé emporter par l’histoire. Je sais déjà qu’un des aspects de la construction du roman qui m’a plu et intrigué est la narration à la première personne, qui donne rythme et crédibilité au récit mais ne dévoile jamais à quelle distance de cette période des années 1960 le narrateur se situe au moment où il se met à écrire ce récit de ses vingt premières années. Pourtant, lorsqu’il termine en décrivant son arrivée au bord du Pacifique nord-américain, il y a de quoi se demander si ses vingt années suivantes auront été aussi mouvementées que les vingt premières. Ou si son narrateur, M. S. Fogg, réapparait dans d’autres romans de Paul Auster.
Je n’ai aucun mal à imaginer que Moon Palace ait pu faire partie du top 100 des livres préférés de Goran, comme l’indique La Bouche à oreilles. C’est en effet pour me joindre à la lecture commune initiée en souvenir de Goran, voix atypique et appréciée du monde en ligne des livres (et des films) que je suis sortie de mes sentiers habituels pour lire ce livre et découvrir cet auteur.
Paul Auster, Moon Palace. Viking, 1989.
* le livre débute avec une citation de Jules Verne (“Nothing can astound an American”) qui m’a fait sourire, car j’avais juste auparavant été amusée de trouver Jules Verne cité dans Les gars de la rue Paul.
** j’ai aussi été amusée de retrouver, parmi les références littéraires et culturelles du narrateur, un clin d’œil à “Ashes and Diamonds”, qu’il dit avoir peut-être vu au cinéma. Avant d’être un film (Andrzej Warda, 1958), Cendres et Diamant est un roman sur les tous derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, de l’écrivain polonais Jerzy Andrzejewski. J’ai justement prévu de parler bientôt d’un autre roman d’Andrzejewski, mais j’aimerais parler un jour aussi de Cendres et Diamant (en français : Gallimard, 1967, traduction Georges Lisowski).
Voici un avis tout en nuances !
Cela est étrange de te trouver en Terre américaine, mais pas déplaisant !
Depuis ma lecture de Moon Palace, j’ai lu le tour du monde en 80 jours, et j’avoue un peu mieux cerner le livre de Auster depuis.
Je ne dirais pas qu’il est tout en nuances, parce que j’ai vraiment beaucoup aimé (contrairement à toi, de ce que je vois!). Là où il y a des nuances, je crois, c’est parce que je n’ai pas eu le temps de vraiment cerner pourquoi j’ai tant aimé, et comment Auster a fait pour me captiver malgré toutes ces péripéties incroyables qui s’accumulent pour ce personnage « bête et incapable de faire des choix censés », comme tu dis.
Oui, pour moi ça n’a pas été une réussite, donc je ne saurais pas expliquer comment il t’a captivé !
Moi c’est l’inverse, tant je ne l’ai pas trouvé barbant. Mais j’avais un gros bloc de temps qui m’a permis de le lire sans interruption, et ça a sûrement compté.
Bonjour ! J’aime beaucoup ta chronique et je me retrouve bien dans ce que tu dis de tes impressions. Moi aussi je me suis bien laissée embarquer par toutes ces aventures, et c’est vrai que le charme opère sans qu’on comprenne comment 🙂 J’ai noté ta participation, merci à toi !
Merci à toi d’avoir initié cette lecture commune – c’est à dire merci de continuer à penser à Goran, et merci de m’avoir poussé à découvrir Auster. C’est curieux pour moi de lire ces avis si partagés à propos du roman, et les réactions envers son héros.
Oui, je suis étonnée également par les avis très contrastés. C’est en tout cas un écrivain qui ne laisse pas indifférent.
J’ai aussi participé à cette lecture commune mais je n’ai pas été aussi emballée que Goran et toi pour cet univers…
Je vois en effet que les impressions sont très partagées. Tu me fais me demander si je vois Moon Palace comme la description d’un univers (l’Amérique) ou comme autre chose. Je crois que j’y vois d’abord un personnage que j’ai bien aimé dans sa manière de se raconter, et une constructionde roman qui m’a tout à fait emportée.
Oui. Tous les lecteurs ont certainement des perceptions différentes. Comme j’habite à 8 h de New York et que j’y suis déjà allée, j’ai peut-être plus ressenti ce lien avec le territoire. Je ne sais pas…
C’est cette comparaison des perceptions (du moment qu’elles sont un peu argumentées) qui fait l’intérêt des blogs, n’est-ce pas?.
Que oui! Bonne fin de semaine! 🙂
Ah Auster c’est particulier, je les ai quasiment tous lus (et mélangés) Hélas, j’ai raté ce rendez vous…
Quel dommage en effet, tu aurais pu nous faire un billet (presque-)tout-Auster-en-un. Sans cette lecture commune, je doute que j’aurais lu Auster.
Et ç’aurait été dommage, c’est vraiment un grand auteur.
Ah moi aussi je l’ai lu ! Je suis d’accord, la structure du livre joue beaucoup sur sa réussite. Il y a la fin et le début du roman qui se répondent, mais aussi le fait que quand le narrateur rencontre un personnage (Eiffing ou son père par exemple) il raconte d’abord ce qu’il apprendra beaucoup plus tard à son sujet avant de revenir au fil de la narration principale. Le récit n’est pas linéaire et fait ainsi des trajets allers et retours, mais c’est le lecteur qui effectuera plupart des rapprochements, ils ne sont pas racontés platement.
Je suis assez séduite également !
Je vois que tu as poussé le décorticage plus loin que moi. J’ai beaucoup aimé cet enchâssement des histoires, même si leur point commun (la mise en place de l’arbre chronologique) pousse le bouchon un peu trop loin. Comme j’aurais voulu savoir ce qu’il se passe après la dernière page! J’aime beaucoup ce que tu dis chez Patrice sur le fait que différents épisodes sont traités de la même manière. J’y penserai en le relisant.
[…] Participation du blogue « Passage à l’Est »sur le roman Moon Palace – qu’elle a aiméhttps://passagealest.wordpress.com/2022/09/15/paul-auster-moon-palace/ […]
Aucun rapport mais le 1 octobre (LC Tokarczuk) tombe un samedi. Ce sera un billet québécois pour mon blog et je publierai donc le billet sur Tokarczuk le mardi qui suit. Bon je ne sais pas s’il y aura d’autres participants mais au cas où, je préviens.
Pas de souci. Il y aura Marilyne, et Emma (bookaroundthecorner), donc je ne vais pas déplacer la date mais je te rajouterai quand tu seras prête. Et pour la LC Aleksievich, est-ce que le jeudi 1 décembre te va?
Très bien, je note ça.
Un vrai plaisir de voir ce livre également chroniqué chez toi, et bien décortiqué ! Je suis sûr que Goran aurait apprécié. J’ai le même sentiment que toi sur ce livre qui est capable de nous embarquer malgré des rebondissements somme tout peu crédibles.
Rebondissements peu crédibles, mais Auster les amène si bien! Ca aura été l’une des peu nombreuses lectures sur lesquelles Goran et moi étions d’accord.
[…] Paul Auster – Moon Palace → […]
[…] et diamant, qui fait (dans une version portée au cinéma) une toute petite apparition dans le Moon Palace de Paul Auster et qui sera très probablement ma lecture suivante chez Andrzejewski (on trouve une […]