Mars et ses nouveaux livres

On s’est à peine mis à lire les nouvelles parutions de février, et voilà déjà les nouveaux livres de mars qui arrivent sous la forme d’un heureux mélange de nouveautés et de classiques redécouverts ou réédités (je parle comme toujours de littérature en provenance de/sur l’Europe centrale, de l’Est et des Balkans). Aussi : un interlude autour de Kafka.

C’est un récapitulatif qui montre encore une fois qu’en termes de parité il y a encore du chemin à faire dans le domaine de la littérature en traduction. C’est le moment de remettre en avant mon article sur les autrices d’Europe centrale, de l’Est et des Balkans (il fête son quatrième anniversaire aujourd’hui ; il pourrait être mis à jour, mais il est déjà plein d’idées de lectures !).

Commençons avec les titres inédits :

De l’écrivain moldave d’expression roumaine Iulian Ciocan, on aura peut-être déjà lu Le royaume de Sasha Kozak ou L’empire de Nistor Polobok (Belleville éditions), satires d’une Moldavie « qui ne tourne pas rond ». Avec Et demain les Russes seront là (2015), publié par Tropismes éditions, Ciocan livre « un texte cocasse et grinçant » qui « raconte l’histoire d’un intellectuel du Chişinău des années 1990, qui invente une dystopie où les Russes envahissent la Moldavie dans les années 2020… » (présentation complète sur le site de la maison d’édition). Echo de l’actualité d’aujourd’hui… ou de celle de la première invasion russe en Ukraine ? Une traduction (du roumain) de Florica Courriol publiée le 3 mars.


Premier roman du jeune écrivain d’origine polonaise, né en Allemagne de l’Ouest, vivant en France et écrivant en anglais Tomasz Jedrowski, Les nageurs de la nuit, publié aux éditions La Croisée, évoque l’amour interdit entre Ludwik et Janusz, deux étudiants dans la Pologne de 1980. « Chacun d’eux se trouve confronté au choix d’une vie : faut-il trahir ou se trahir pour protéger ceux que l’on aime ? Au fil d’une plume élégante, tour à tour sensuelle, mélancolique et inquiétante, Tomasz Jedrowski nous plonge dans une bouleversante éducation sentimentale et politique derrière le Rideau de fer. » Présentation complète sur le site de la maison d’édition. Une traduction (de l’anglais) de Laurent Bury publiée le 8 mars.


Profitant du succès de Miracle à la combe aux aspics, les Editions Noir sur Blanc – collection La Bibliothèque de Dimitri publient la traduction du premier roman (2000) de l’auteur Ante Tomić, Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ?, « douce satire de l’Église, de l’État et du machismo », dans l’arrière-pays dalmate. Un extrait de la présentation de la maison d’édition : « Tout au long de ce roman d’amour hilarant, on découvre une population archaïque, obtuse, amoureuse d’agneaux à la broche, mais excessivement touchante dans son humanité. » Une traduction (du croate) de Marko Despot à paraître le 9 mars.


Un livre qui, en 2023, ne peut qu’être inédit, c’est le Journal d’une invasion, de l’écrivain ukrainien russophone Andreï Kourkov. Connu pour ses romans qui, depuis Le pingouin (2000) et jusqu’à L’oreille de Kiev (2022), sont publiés principalement et assidûment chez Liana Levi, Kourkov était aussi l’auteur d’un Journal du Maïdan, « établi à partir de notes prises sur le vif (…qui) livre un regard à la fois politique et intime, décalé et émouvant, sur les événements qui secouent son pays » il y a bientôt dix ans (présentation Liana Levi). C’est cette fois aux Editions Noir sur Blanc que parait ce Journal d’une nouvelle invasion, texte dans lequel Kourkov « explore les relations entre l’histoire ukrainienne et l’histoire russe, mais aussi entre les deux langues du pays » et « montre une culture qui, contrairement aux affirmations de Poutine, est singulière et démocratique, libérale et diverse – une culture qui “résistera jusqu’à la fin” » (présentation complète sur le site de la maison d’édition). Une traduction (de l’anglais) de Johann Bihr à paraître le 16 mars.


Après Madame Mohr a disparu (chroniqué ici), Agullo publie le deuxième volume des aventures de Zofia Turbotyńska, ce personnage d’enquêtrice inventé de toutes pièces par une autrice, Maryla Szymiczkowa, elle-même fruit de l’imagination de Jacek Dehnel et Piotr Tarczyński. Nous sommes toujours à Cracovie, à la fin du XIXe siècle : « En collaborant avec la police, Zofia se retrouve entraînée dans les bas-fonds de la ville, bien loin de la Cracovie mondaine qu’elle connaît. … Sur ce chemin qui l’emmène des districts les plus pauvres de la Galicie jusqu’aux plus hauts échelons de la société, Zofia se verra obligée de mettre en question tout ce qu’elle croyait immuable…. Le Rideau déchiré s’attaque avec esprit et talent aux injustices et inégalités qui frappent les femmes à l’époque de l’Empire – et à la nôtre », écrivent les éditeurs. Une traduction (du polonais) de Cécile Bocianowski à paraître le 30 mars (Babelio précise utilement et tout en majuscule que le livre peut être lu indépendamment des tomes précédents (sic)).


… et un rattrapage de février avec Je suis né roumain, album dans lequel le dessinateur Daniel Horia revient sur son enfance à Bucarest au milieu des années 1980, entre émerveillement d’un enfant et réalité de la dictature communiste roumaine. Un extrait de la présentation chez Livres Rhône Roumanie chez qui j’ai repéré l’album : « Avec le réalisme du vécu, un réalisme par moments teinté d’humour (voir par exemple la scène du restaurant où aucun des plats figurant sur la carte n’est disponible, ou l’accueil rébarbatif des employées de magasin), et avec une sensibilité teintée de discrétion, les complexités de la mémoire sont parfaitement rendues par la narration et les dialogues, ainsi que par les images colorées, lumineuses, souriantes, tendres, avec parfois de tragiques contrastes », et présentation sur le site des éditions Paquet.


Voici maintenant l’interlude « Kafka » avec deux titres très différents :

Une biographie, chez Le cherche midi : Kafka, le temps des décisions, premier tome (960 pages) d’une « monumentale trilogie » sur l’homme et l’écrivain, par Reiner Stach. Un extrait de la présentation (complète, sur le site de la maison d’édition) : « Ce premier tome couvre les années 1910-1915. Des années où Kafka écrit tour à tour Le Verdict, La Métamorphose, Le Disparu (Amérique) et Le Procès, et où sont posés, coup sur coup, des jalons décisifs pour la suite de son parcours : lourdes responsabilités professionnelles, redécouverte du judaïsme, premières publications, catastrophe de la Grande Guerre, et surtout rencontre, correspondance, fiançailles et rupture avec Felice Bauer. Un ouvrage fascinant, à la fois récit d’une vie, livre d’histoire et essai critique, mené avec un rythme et une sensibilité de romancier. » Une traduction (de l’allemand) par Régis Quatresous à paraître le 9 mars.


Un échange imaginé, chez Le Nouvel Attila (une publication de février) : J’avance dans votre labyrinthe, de Marie-Philippe Joncheray. Je cite la présentation : « Kafka a écrit des centaines de lettres à Milena Jesenská, jeune femme prodige de 24 ans qu’il appelait son « feu vivant », morte en déportation à 44 ans… Curieuse, gourmande, facétieuse, vivante – par-dessus tout vivante –, passionnément amoureuse, elle est dépendante des mots de Kafka comme des drogues expérimentées à l’adolescence » ainsi que le bandeau : « Les lettres de Milena à Kafka ont disparu, M.-P. Joncheray les a réinventées. »


Pour terminer, quelques mots sur les classiques (auteurs et/ou titres) qui reviennent sur les étagères en mars !

Ivo Andrić d’abord, ou peut-être deux Ivo Andrić différents (même si on parle bien du même récipiendaire du prix Nobel de Littérature en 1961, auteur notamment du Pont sur la Drina, mais aussi d’Omer pacha Latas ou de L’éléphant du vizir), avec deux titres publiés à quelques jours d’intervalle :

Le premier Ivo Andrić est un inédit écrit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et est résolument serbe car il propose La chronique de Belgrade, et bénéficie d’un lancement conjointement organisé par les éditions des Syrtes et le Centre culturel serbe (le 10 mars à Paris). Un extrait de la présentation des Syrtes (complète sur le site de la maison d’édition) : « À travers le portrait de « petites gens » – décrits dans leur humanité la plus admirable –, l’auteur transcrit la transformation de la société et l’évolution des mentalités et des relations familiales. (…) La Chronique est également en filigrane un portrait formidablement vivant de Belgrade et un hommage à la ville qui, en 1918, avait accueilli l’écrivain à bras ouverts, alors qu’il était déjà un poète engagé. » Une traduction (du serbe, donc) par Alain Cappon publiée le 3 mars.

Le second Ivo Andrić est plus généralement serbo-croate (l’auteur, note le paragraphe biographique, « incarne la Yougoslavie par excellence ») et se déroule surtout à Sarajevo, « croisement de l’Orient et de l’Occident » ; il s’agit de la réédition de Contes de la solitude, recueil de nouvelles d’abord publié en français il y a une vingtaine d’années. Un extrait de la présentation des éditions Zulma (complète sur le site de la maison d’édition) : « Dans une narration inspirée des Mille et Une Nuits, Contes de la solitude dépeint entre grandeur et décadence les faiblesses humaines et brosse de fascinants portraits. C’est un ravissement et un ensorcellement. » Une traduction (du serbo-croate) par Pascale Delpech, Sylvie Skakić-Begić et Mauricette Begić à paraître le 9 mars. 


C’est avec Printemps difficile (toujours pas chroniqué) que j’avais commencé à lire Boris Pahor, écrivain triestin d’expression slovène né en 1913 et décédé l’année dernière à l’âge incroyable de 108 ans. Mais ma seule chronique de ses livres est celle publiée il y a presque trois ans, au terme d’un riche voyage littéraire qui m’avait amenée d’Odessa à Trieste : Arrêt sur le Ponte Vecchio (ma chronique ici) est un recueil de nouvelles publié aux éditions des Syrtes en 1999 et sur le point d’être réédité aux Syrtes également, dans leur collection poche. Un extrait de la présentation des Syrtes (complète sur le site de la maison d’édition) : « D’inspiration autobiographiques, ces nouvelles font ainsi découvrir l’histoire slovène. La première partie se passe ainsi dans les années 1920. On y voit avec horreur la montée du fascisme et les chemises noires italiennes. La deuxième partie entraîne le lecteur vers les camps où Boris Pahor aura passé quelques temps. Alors que la troisième partie présente la ville de Trieste. Ce recueil est particulièrement exemplaire par la langue imagée de l’auteur, si belle et poétique. » Une traduction d’Andrée Lück-Gaye et Claude Vincenot à paraître le 22 mars.


C’est avec un roman de presque 65 ans, dont la traduction française jeune de presque 60 ans n’était guère plus accessible qu’aux passionnés-acharnés de la littérature hongroise en traduction, que je termine cette petite série : il s’agit de Une école à la frontière, de Géza Ottlik. Ayant pour cadre principal une école militaire, en Hongrie dans les années 1920, « Une école à la frontière est (…) l’évocation douce-amère du monde de l’enfance, mais aussi un regard acéré sur l’humain et la relation entre individu et société. On peut y lire également une parabole de l’oppression politique, qui a sans aucun doute fait son succès. » Cela est un extrait de la présentation des Syrtes (présentation complète sur leur site), qui s’inspire un peu de ma chronique du livre publiée il y a presque 10 ans et que vous pouvez aussi (re)lire sur ce lien. J’y émettais l’opinion qu’il « aurait besoin que quelqu’un le re-publie », souhait donc enfin en passe d’être réalisé. Une traduction (du hongrois) de Ladislas Gara, Georges Kassaï et Georges Spitzer, à paraître le 22 mars.


Voilà donc une belle moisson de douze livres, sans compter ceux que j’aurai certainement oubliés et dont je parlerai le mois prochain (ou celui d’après). Lesquels vous tentent ?

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20 commentaires on “Mars et ses nouveaux livres”

  1. keisha41 dit :

    Cette invasion de la Moldavie par la Russie, écrit en 1990, hum hum.. Pas forcément fictionnel de nos jours.
    J’avais noté Madame Mohr, j’avais tellement aimé Miracle à la combe aux aspics, bref, affaires à suivre.
    Après, ben, faut mettre la main dessus.

  2. Je retiens immédiatement cette biographie de Kafka, certes on trouve en français des biographies mais la plupart date de pas mal d’année et j’aime l’idée que ce soit écrit par un allemand
    je note aussi Boris Pahor que j’ai déjà lu mais j’aime beaucoup cet auteur

    • Pour Kafka, je lis que les deux autres volumes doivent paraître à l’automne 2023 et au printemps 2024. Voilà qui te donne un peu de temps pour commencer le premier volume (et compléter ta bibliothèque déjà si bien fournie).
      J’ai cherché sur ton blog ce que tu avais lu de Pahor, mais c’était avant/hors blog?

  3. nathalie dit :

    Je reviendrai étudier tous ces titres, mais ma 1e réaction est d’avoir envie de relire Kafka, que j’ai dû lire… au lycée et/ou en première de fac de lettres (c’était donc le XXe siècle), surtout depuis que j’ai écouté une série de podcasts de France Culture
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-felice-milena-dora-ottla-quatre-femmes-avec-kafka
    Qui donnent une vision de lui assez différente de d’habitude, je trouve. Bref, je ne compte pas m’atteler de suite aux écrits biographiques, mais j’essaierai de commencer à le relire dès cette année !

    • Il n’est pas encore trop tard pour prendre des bonnes résolutions pour 2023! Comme toi mes années lycée datent du siècle précédent, et j’ai un vague souvenir d’avoir lu La métamorphose, mais il est si vague que j’ai quand même un gros doute. Donc pour moi, le raisonnement sera de lire Kafka avant de me mettre à lire sur Kafka. Mais en commençant par son Journal. Merci pour le lien vers les podcasts (que ferait-on sans France Culture).

  4. Doudou Matous dit :

    J’attends la sortie de « Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ? » dont la quatrième de couverture a attiré mon attention. Dans un genre complètement différent, j’au remarqué « Journal d’une invasion, d’Andreï Kourkov. Par contre, je ne connaissais pas la bande dessinée « Je suis né Roumain ». ça m’intéresse. Merci pour ce panorama des parutions

  5. nathalie dit :

    Me revoilà. J’ai acheté Miracle à la combe aux aspics, je vais essayer de le lire avant de me procurer un nouveau titre de l’auteur. La BD roumaine me plairait bien. Je crois me souvenir qu’à une époque nous étions jeunes et inconscien… enthousiastes plutôt et avions envisagé une LC autour d’ Ivo Andrić. Heureusement que nous avions oublié. Enfin, ce n’est que partie remise. Celui que j’ai acheté (le truc de Travnik) est énorme ! Peut-être à l’automne. Ceci dit, La Chronique de Belgrade pourrait me plaire. De toute façon, je compte sur les billets de divers blogs et les tables de libraire pour me tenter et me convaincre.

    • Une LC Andrić? Ca me rappelle quelques souvenirs. J’espère qu’on n’avait pas fixé une date que j’aurai complètement oubliée? Mais je suis inconscien… enthousiaste pour en refaire une (2e moitié de l’année).

      • Nathalie dit :

        On peut faire une tentative pour… octobre ou décembre ? Les blogs littéraires passent novembre moitié en Allemagne moitié au Québec, c’est déjà suffisamment compliqué.

      • C’est vrai que ça devient de plus en plus contraignant, d’être blogueuse littéraire, heureusement que le bilan carbone reste assez restreint. Figure-toi qu’Andrić est né un 9 octobre et qu’en 2023 le 9 octobre est un lundi. Je crois que le choix est tout fait.

  6. nathalie dit :

    Va pour le 9 !

  7. STEPHAN dit :

    La biographie de Kafka – bien que cela paraisse « monumental » – paraît incontournable. Sinon je vais peut-être essayer le livre de Kourkov qui sort du registre habituel de cet écrivain (avec lequel j’ai toujours eu un peu de mal…). Sinon, en tant que « yougo-nostalgique », peut-être les 2 Ivo Andric…
    Il y a tant de choses passionnantes à lire…

  8. Choup dit :

    De belles choses à piocher dans cette liste! je retiens entre autres le policier polonais, le roman moldave, Boris Pahor et bien sûr le Kourkov.


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