Liliana Lazar – Terre des Affranchis

Terre-des-affranchis-Liliana-LazarAu début, j’ai été séduite. Passé le prologue annonciateur de mystère, les premiers chapitres font montre d’une écriture belle et maîtrisée et d’autant plus admirable que c’est celle d’une personne pour qui le français n’est pas la langue maternelle.

Les longues descriptions – le monastère orthodoxe roumain et ses ombres furtives, la Fosse aux Lions et la mort de Tudor Luca, le village de Slobozia et ses habitants – sont belles, mais ce sont surtout les petits phrases récapitulatives qui m’ont fait plaisir : « l’expérience de la sainteté effraie parfois plus qu’elle n’attire », ou encore « en sanctifiant le temps, l’Église en prenait le contrôle et ne le subissait plus ».

Une fois le décor planté, le ton change et l’on passe à l’action. Victor, fils du violent Tudor Luca, mort alors que Nicolae Ceausescu prend les rênes de la Roumanie communiste, est un être plutôt taciturne, et fort. Bûcheron de son état, il étouffe une jeune fille un jour de canicule, sans le vouloir, après qu’elle l’ait insulté. C’est le point de départ d’une longue période de réclusion pour Victor, caché dans la petite maison où vivent sa mère et sa sœur, à l’écart du village.

Les années passent, et pendant ce temps le village vit au rythme des saisons, des superstitions et des diktats de l’administration communiste (s’ils parviennent jusqu’au village). Simion, le jeune policier athée, se trouve une maîtresse, mais pas le coupable du meurtre. Ismail, le Tzigane, surveille son monde, prodiguant ses recettes et incantations un brin diaboliques pour jeunes filles en mal d’amour ou hommes en mal d’héritier. Ilie, le prêtre, fait recopier en douce, à la main, les rares manuscripts religieux soutirés à la censure officielle. Ce sera là un rare lien avec le monde extérieur pour Victor qui, au fil de ses copies, travaille à sa propre rédemption.

Malgré tout, l’hiver 1989 n’est pas pour Victor tant celui qui mène à la fin de l’ère Ceausescu que celui où il renoue avec le crime, le meurtre et le viol. Et c’est là, arrivée à mi-chemin dans ma lecture, que j’ai vraiment fini par perdre intérêt et sympathie pour Victor, qui semble incapable de décider s’il veut suivre la voie du bien ou celle du mal. J’ai eu encore plus de mal à y croire lorsqu’à la fin du livre, ayant pris l’identité d’une autre personne, il finit hissé en héros célébré et médiatisé.

Fallait-il voir en Victor une métaphore pour un peuple et une histoire roumains dont les erreurs seraient sans cesse répétées ? C’est un peu l’impression que donne Lazar : en 1989, « le pays se cherchait un héros que le fugitif de Slobozia s’apprêtait à incarner. » Victor n’était pas un saint, « mais il avait expié son crime, à l’image du peuple roumain qui après s’être corrompu avec le communisme, cherchait lui aussi sa repentance. »

De repentance, au final, il n’y en aura point : au contraire le livre se termine sur une vague menace de danger permanent. Pour moi, il a surtout abouti à un grand point d’interrogation quant à l’existence sur papier de Victor Luca. Peut-être, en y réfléchissant encore un peu, serait-il possible de faire émerger une explication mais, malgré un certain talent stylistique et de beaux passages sur les coutumes et superstitions locales, il n’est pas certain que j’aie envie de me replonger dans cette Terre des Affranchis.

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Terre des Affranchis est le premier et, semble-t-il, le seul roman de cette écrivain roumaine d’expression française, née en Moldavie en 1972 et arrivée en France en 1996.

Liliana Lazar, Terre des Affranchis, Gaïa Editions, 2009.

Titre inscrit au tour d’horizon « Voisins Voisines » chez Anne, catégorie Roumanie.

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