Vladimir Lortchenkov – Des mille et une façons de quitter la Moldavie

lortchenkov« Nous n’attendons pas grand chose des pays de l’ex-URSS. Nous savons que nous sommes une constellation de l’absurde. Et l’Ukraine est loin d’être le plus absurde. La palme nous revient à nous, la Moldavie. » Les mots sont du moldave Vladimir Lortchenkov, dans un éditorial publié dans le New York Times fin décembre 2013 où il appelait la Moldavie à devenir le 51e état des États-Unis. « Les Moldaves, comme les Américains, sont un peuple de la frontière. Ce n’est pas le but qui importe, mais le fait d’essayer. Nous comprenons peut-être l’absurdité de notre quête vers la terre promise européenne, mais nous ne pouvons pas nous en empêcher. »

Des côtés absurdes et irréductibles de la Moldavie, ainsi que de son potentiel humoristique et entreprenant, Lortchenkov en fait aussi la démonstration dans son très loufoque et divertissant Des mille et une façons de quitter la Moldavie, son premier livre à être traduit en français et récemment publié par les éditions Mirobole (qui m’ont envoyé ce livre et que je remercie).

***

En lisant Des mille et une façons de quitter la Moldavie je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Chicken Run, ce film d’animation des créateurs de Wallace et Gromit, dans lequel des poules pondeuses destinées à l’abattoir tentent de s’échapper de leur poulailler industriel, menées par un coq vantard tombé là par hasard. On remplace le poulailler par la Moldavie, ce petit pays coincé entre l’Ukraine et la Roumanie ; les poules par les Moldaves (ceux qui ne sont pas encore partis) ; et le coq par, au choix, un paysan désabusé, un pope orthodoxe en croisade, et un amoureux inconditionnel de l’Italie, et nous voilà en plein dans le monde un peu délirant de Vladimir Lortchenkov.

Ah oui, l’Italie… le pays rêvé, l’Eldorado de tous ces Moldaves, principalement du petit village de Larga mais aussi d’ailleurs, prêts à tout pour accéder enfin à une vie prospère, loin de la terre pauvre et boueuse, du chômage et de la corruption de leur pays. Seulement, entre la Moldavie et l’Italie, il y a les frontières bien gardées de l’Union Européenne, la malhonnêteté des passeurs et des trafiquants d’organes, et la méfiance de tous les voisins qui encouragent les désirs d’Europe du pays sans vraiment vouloir lui délivrer le sésame.

Qu’à cela ne tienne, Séraphim, Vassili, Païssii, Voronine et les autres sont prêts à prendre les choses en main et là, tous les moyens sont permis. C’est là qu’on apprend que transformer un tracteur en avion, puis en sous-marin, relève du domaine du possible (pour le sous-marin, il suffit d’ajouter les pédales du vélo du voisin). On apprend aussi comment s’y prendre (ou pas) pour se greffer un rein de cochon, et quelques règles de curling, cette discipline olympique qui consiste à placer des pierres rondes dans un certain but. Ça se joue sur glace, apparemment, sauf quand on est Moldave et qu’il n’y a que des champs comme terrain d’entraînement (par curiosité je suis allée voir s’il y avait une équipe moldave de curling à Sotchi cette année. La réponse est non).

Esprits trop rationnels s’abstenir de cette lecture : Lortchenkov fait faire à ses personnages les tours et détours les plus abracadabrants, quoique quand même restant en général juste à la limite de la crédibilité. J’ai envie de penser qu’il met ici en avant les capacités de débrouillardise et d’innovations des Moldaves, qualités qu’ils ont sûrement eu le temps de cultiver dans leur petit coin de l’ex-URSS.

Avec son humour pince-sans-rire, Lortchenkov crée aussi des personnages attachants et singuliers malgré leurs côtés parfois macabres, tel ce Vassili qui rechigne à enterrer sa femme pendue, parce que son corps encore attaché à la branche est parfait pour faire sécher au vent les colliers d’ail. (Presque) tout le livre est comme ça, une succession d’idées, de personnages et de situations loufoques. Quelque fois j’ai eu l’impression que Lortchenkov inventait au fur et ô mesure et ça s’essoufflait un peu, mais seulement pour repartir de plus belle ensuite.

Et il y a tous ces clins d’œil, ces petites blagues dispersées tout au long du livre, comme le tir dans les nuages pour éviter la pluie qui menace un meeting pro-européen (Putin en aurait-il pris de la graine ?), ou l’histoire de l’apprenti ethnologue envoyé parmi les paysans et qui croit entendre de la bouche de l’un d’entre eux une version préservée au long des siècles du mythe de « Cerescu », « Persika » et « Plutonescu ». J’en viens presque à regretter de ne pas être moldave, tant il doit y avoir de références (politiques, sociales, culturelles) qui m’échappent.

Mais ça serait vraiment la seule raison de le regretter, parce qu’à en croire Séraphim et compagnie, il n‘y a vraiment pas grand chose d’attrayant en Moldavie. Après, il y a sa littérature et ça, heureusement, ça s’exporte.

Lorchenkov-headshot-220x285

Né en 1979, Vladimir Lortchenkov est un journaliste et écrivain moldave d’expression russe.

Vladimir Lortchenkov, Des mille et une façons de quitter la Moldavie (Vse tam budem, 2008). Trad. du russe par Raphaëlle Pache. Mirobole Éditions, 2014.

Publicité