Miklós Vámos – Le livre des pères

Le but de ce blog est avant tout personnel – m’aider à mieux connaître la littérature très riche mais souvent difficile d’accès de l’Europe du Centre, de l’Est et des Balkans. Ceci dit, j’aime tout particulièrement penser que cette plate-forme permettra peut-être à d’autres de mieux apprécier cette littérature, et surtout celle du pays dans lequel je vis – la Hongrie.

Le Livre des pères de Miklós Vámos a, de prime abord, tout pour plaire : une fresque historique sur fond de trois siècles d’histoire hongroise, et peuplée de héros liés non seulement par les liens du sang, mais aussi par ce mystérieux ‘livre des pères’ transmis de génération en génération et contenant le récit de vie de chacun des aînés mâles. Tout cela est renforcé pas la couverture (à mon avis attrayante) de l’édition Denoël, laquelle décrit au dos l’auteur comme étant l’une des figures de proue de la littérature contemporaine hongroise, de surcroît récompensé du Hungarian Merit Award pour l’ensemble de son œuvre.

Et pourtant, j’ai été décue, ce qui me chagrine beaucoup. Cela est en partie dû à une question de style, lequel m’a paru plutôt fade – mais peut-être cela est-il tout autant lié à la traduction qu’à l’original. Peut-être suis-je aussi passée à coté des références astrologiques qui abondent, entre éclipses solaires, interprétations des prédictions de Nostradamus, et lecture des signes astraux. Il s’agit là visiblement d’un aspect important du livre, d’autant que les divers noms de famille adoptés au fil du temps – Csillag, Stern, Sternovsky – ont tous trait au mot ‘étoile’. Le choix de présenter cette lignée en douze chapitres n’est donc probablement pas anodin, et chaque chapitre s’ouvre sur une description de la nature au fil du passage des saisons, probablement correspondant au passage des mois.

D’autre part, le fameux livre des pères m’a semblé ne fournir qu’un lien assez ténu. Le premier chapitre, émaillé d’extraits tirés du livre de pensées inauguré par le premier ‘père’ augurait bien. J’espérais retrouver le même ton, alternant la narration à la troisième personne et celle à la première personne, dans les chapitres suivants. Mais ces extraits se font de moins en moins visibles au fil des pages, reflétant la négligence de certains personnages, qui n’inscrivent que peu ou rien ou, quelque fois, reflétant la perte ou la destruction du livre. De ce point de vue, ce n’est pas tant le livre qui m’a paru être le fil conducteur (pour les personnages mais aussi pour le lecteur), que le don qui permet au mâle aîné de chaque génération d’entrevoir le passé et l’avenir. Cet aspect fantastique (et relié sur la fin aux références astrologiques déjà mentionnées) n’a pas du tout convaincu mon moi rationnel, et m’a plutôt semblé donner lieu à nombre de problèmes qui affaiblissent ce récit autrement bien ancré dans la réalité.

Ceci dit, j’ai quand même apprécié la construction du récit et son déroulement au cours de trois siècles d’histoire hongroise – et juive – pour le moins mouvementée. De l’établissement d’une famille de colons allemands dans un village hongrois ravagé par la guerre civile, via les répressions menées par les Habsbourg, les pogroms, les lois anti-juives, l’Holocauste et l’état socialiste, à la vague d’émigration aux États-Unis, c’est un panorama assez impressionant qui se déroule sous les yeux du lecteur. Davantage de notes de bas de page faciliteraient certainement la lecture pour le public non-averti, mais les jalons sont quand même assez bien posés par l’écrivain et aident à dresser le portrait de chaque époque au travers de la situation sociale, économique, culturelle, religieuse et géographique de chaque génération.

Avec le premier chapitre, c’est le dernier qui m’a le plus touché : avec le portrait d’Henryk Csillag, le jeune déraciné américain qui tâche de reconstituer l’arbre généalogique familial dans une Hongrie tout récemment sortie de l’expérience communiste, le livre prend un peu plus de sens. Les efforts d’Henryk pour reconstituer sur ordinateur un fichier retracant la vie de ses ancêtres semblent être dans la même lignée que ceux de son grand-père Balázs (qui tente d’échapper au lourd passé familial en jettant au feu les volumes du livre des pères) ou ceux de son aïeul István qui, victime d’un pogrom détruisant tous ses papiers, s’oppose par la suite en vain à la destruction d’archives municipales. De même, Henryk butte, dans ses démarches pour localiser les tombes de ses grand-parents, contre les mesures prises par son grand-père lui même pour déménager le petit cimetière juif du village au début de l’ère communiste. Ses efforts finissent d’ailleurs par le mener sur une mauvaise piste, au moment même où son propre fils commence à manifester des aptitudes à voir le passé.

C’est donc une fresque historique qui pourrait sonner comme un plaidoyer pour la mémoire et l’identité individuelle et collective dans un pays malmené par l’histoire. L’idée était prometteuse, mais le résultat est malheureusement loin d’être à la hauteur.

Miklós Vámos, Le livre des pères (Apák Könyve, 2000), trad. du hongrois par Joëlle Dufeuilly. Denoël, 2007.

Avec ce billet peu enthousiasmé, j’inaugure ma participation au challenge des Livres de George Sand et moi « Le nez dans les livres » et continue mon tour d’horizon au profit de Katel et de son défi « Voisins Voisines » sur son blog Lettres Exprès.

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