Goran Petrović – Sous un ciel qui s’écaille

Tout à coup, à peu près au milieu de la projection, sans aucun signe annonciateur, comme si quelque chose d’invisible l’avait intercepté, le pinceau de lumière venu de derrière le dos des spectateurs s’est affaissé, puis a cassé net. Quelque chose a émis un râle, proprement suffoqué et pour finir a claqué ! L’écran aussitôt a pâli. Est devenu gris. Puis a de nouveau brillé. Le projecteur n’envoyait plus qu’un éclat d’une blancheur aveuglante. On pouvait y distinguer nettement deux taches et trois rapiéçages sommaires.

Au premier moment, personne n’a réagi.

Il y a quelques mois, je me promenais dans Saint-Etienne à la recherche d’un endroit pour dîner et je suis ressortie de chez un bouquiniste avec Sous un ciel qui s’écaille. Non seulement ce roman était le seul livre d’Europe centrale, de l’Est ou des Balkans de toute la boutique et m’a donc sauté dans les bras, mais en plus c’était un livre de Goran Petrović, auteur serbe dont j’avais beaucoup apprécié l’univers gentiment fantaisiste dans Soixante-neuf tiroirs.

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Goran Petrović – Soixante-neuf tiroirs

Il y avait dans ses yeux, en ce lundi de décembre, quelque chose d’une canicule d’août, d’un friselis de feuilles de saules et d’osier, des frissons d’oisillons dans un nid construit à la proue d’une barque tirée sur la rive, puis oubliée là ; quelque chose de ces soleils scintillants qui couronnent les vaguelettes d’une rivière, de la brume de chaleur sur la roselière de la rive d’en face et de la grisaille bleutée d’un massif montagneux ramassé sur lui-même, des clairières lointaines sous les neiges éternelles… Il y eut aussi, lorsque la vieille dame bougea la tête, le contour tremblé d’une maison d’un étage et d’un ocre clair-obscur, dans un isolement irréel, sur une douce élévation au milieu d’une vallée boisée. Il faisait maintenant plus chaud dans la pièce qu’au moment où elles avaient commencé leur lecture, on y sentait les immensités des eaux qui, depuis des siècles, depuis la création du monde peut-être, coulent on ne sait d’où, vers on ne sait où…

J’ai lu Soixante-neuf tiroirs d’une traite, un week-end de mai, profitant au fil de ma lecture du fait que rien d’urgent ne m’empêchait de lire encore un chapitre, puis un autre, et ainsi de suite jusqu’à la dernière phrase du livre. Comme l’étudiant Adam Lozanitch, l’un des protagonistes du Soixante-neuf tiroirs, je ne savais pas trop à quoi m’attendre en entamant la lecture de ce roman, et comme lui je suis tombée sous le charme du livre, tout en restant – contrairement à Adam et aux autres protagonistes – tout à fait ancrée dans ma réalité.

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