3/11 : Ça s’est passé un 1er mai – 11 livres de la « nouvelle Europe »

Parler de la littérature de ces trente dernières années, pour marquer le 20e anniversaire de l’élargissement de 2004 (en y ajoutant ceux de 2007 et 2013) : c’est – comme je l’avais expliqué ici le jour même de ce 20e anniversaire – l’objectif de ce billet.

J’y propose chaque jour, un pays et un livre avec pour ligne directrice : un livre qui laisse de côté l’Histoire du XXe siècle pour se concentrer sur le monde contemporain.

Commentaires et suggestions sont les bienvenus !


3/11: ČESKO

Les deux titres entre lesquels j’hésitais pour aujourd’hui ont pour point commun le regard qu’ils portent sur un monde qui va bien au-delà des frontières de la Tchéquie. Celui que j’ai finalement choisi porte une histoire terriblement universelle et terriblement humaine – celle de l’impact de la migration sur le corps et sur l’esprit, mais il est aussi le reflet d’un pays confronté à un phénomène migratoire qui lui avait auparavant été étranger.

Il s’agit de : La fatigue du matériau, de Marek Šindelka, et j’en avais parlé dans ce billet.

« La fatigue du matériau est une tentative pour imaginer une voix à ceux qui n’en ont pas en littérature, ou du moins pas encore : celle de migrants prêts à tout pour quitter leurs communautés détruites, et rejoindre un endroit où ils pensent pouvoir construire un avenir. »

Titre original : Únava Materiálu (2016). Une traduction du tchèque par Christine Laferrière, publiée par les éditions des Syrtes en 2021.


2/11: SLOVENSKO

Cette liste de titres en lien avec le 20e anniversaire de l’élargissement me trottait déjà dans la tête au moment des élections parlementaires de l’automne de l’année dernière. A la consternation de beaucoup, c’est le populiste et pro-russe Robert Fico qui s’est une nouvelle fois retrouvé à diriger le gouvernement. De la Slovaquie de Fico à celle que dépeint l’écrivain (d’abord journaliste) Arpád Soltész, il n’y avait qu’un pas que j’ai franchi allégrement en choisissant un titre pour ce pays.

Il s’agit de : Le bal des porcs, d’Arpad Soltész et j’en avais parlé dans ce billet.

« Le bal des porcs commence comme un roman, et se termine comme un réquisitoire, noir et amer, contre une corruption qui ronge en profondeur « une région qui pourrait bien être la Slovaquie mais qui ne l’est pas vraiment. »

Titre original : Sviňa (2018). Une traduction du slovaque par Barbora Faure, publiée par Agullo en 2020.


1/11: POLSKA

Pour commencer cette série, direction la Pologne, avec un roman écrit à 150 à l’heure et publié juste avant l’adhésion de la Pologne à l’UE (cette UE qui y fait d’ailleurs une petite apparition) : dans une banlieue d’une ville du littoral baltique, il nous plonge dans l’univers de « Le Fort » et ses amis, jeunes désœuvrés et accros, entre rêves et psychoses.

C’est : Polococktail Party, de Dorota Masłowska et j’en avais parlé dans ce billet.

« Hormis la curiosité de savoir ce qu’il va se passer jusqu’à la fin du livre, et où cette histoire de guerre masquée contre les Russes et leur contrebande va nous mener, c’est la langue du roman qui m’a donné envie de le lire jusqu’au bout : une langue hachée, avec un vocabulaire assez répétitif même lorsqu’il s’agit d’explétifs, mais qui forme au bout du compte le portrait d’un jeune homme qui n’a pas grand-chose à quoi arrimer sa vie. »

Titre original : Wojna polsko ruska pod flagą biało-czerwona (2002). Une traduction du polonais par Zofia Bobowicz, publiée par les éditions Noir sur Blanc en 2004.


2/11 : Ça s’est passé un 1er mai – 11 livres de la « nouvelle Europe »

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1/11: Ça s’est passé un 1er mai – 11 livres de la « nouvelle Europe »

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Paweł Huelle – Moving House

Des sept histoires qui composent ce recueil, celle du titre, « Moving House », est la plus courte, mais c’est l’une de celles qui évoque le plus distinctement la question de la présence du passé collectif dans l’imaginaire individuel. Ce thème est filtré par la voix d’un narrateur : un narrateur adulte, très probablement toujours le même, probablement proche de l’auteur et qui, se souvenant de différents épisodes de sa vie et surtout de son enfance, est plus ou moins distinctement conscient que, né après une période de rupture, il est l’héritier d’un passé peu évoqué mais qui se fait encore sentir.

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Tomasz Jedrowski – Les nageurs de la nuit

Les éditions La croisée évoquent, pour présenter Les nageurs de la nuit, une « plume élégante, tour à tour sensuelle, mélancolique et inquiétante », et une « bouleversante éducation sentimentale et politique derrière le Rideau de fer » : deux constats qui deviennent évidents à la lecture de ce premier roman, traduit de l’anglais.

Pourtant, le roman ne s’ouvre pas « derrière le Rideau de fer » car, dans tout son présent, il se déroule à New York – Ludwik, le narrateur, y a atterri une année auparavant, après avoir quitté sa Pologne natale. Dans ce présent du roman, c’est la fin de l’année 1981 et le gouvernement polonais vient de décréter la loi martiale en réponse à une longue période de grèves et à l’émergence de Solidarność. Dans la solitude de son appartement, écoutant les bribes d’information émises par la radio, Ludwik pense à la courte vie qu’il a quittée, et dans laquelle sa rencontre avec Janusz, resté par choix à Varsovie, a été déterminante.

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Olga Tokarczuk – Récits ultimes

Pourquoi « ultimes » ? Et, d’ailleurs, pourquoi « récits » ? La deuxième question est la plus facile puisque, même s’ils sont tous de facture différente, ce sont bien trois « récits » qui composent ce roman d’Olga Tokarczuk.

Le premier, « Blanche contrée », est celui d’« elle » (Ida), à la troisième personne de l’indicatif présent, ce qui nous place au plus près de ses pensées et réactions. Le second, « Paraskewia, la Parque », est celui de « je », Paraskewia, qui se parle à elle-même dans la solitude de sa maison isolée par la neige. Le dernier, « L’illusioniste », est un autre « elle », Maya, écrit à l’imparfait avec toute la distance qu’il implique. Trois parties, donc, d’une écriture classique et fine mais qui amènent aussi à se poser la question de savoir à qui, en premier lieu, Tokarczuk et ses personnages adressent ces récits.

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Maurice Drumlewicz – Tribulations d’un jeune Juif polonais en URSS entre 1939 et 1946

Personnellement, c’est devenu… Encore une fois, je dis moi mais c’est aussi les autres. Je l’ai vécu mais d’autres l’ont aussi vécu et parfois c’était pire, car ils n’ont pas toujours su se débrouiller. D’autres n’ont pas eu cette chance, ils n’ont pas eu ce culot, ils n’ont pas eu notre audace et ils n’ont pas survécu, ils sont morts de faim. C’est à eux qu’il faut penser. C’est pour eux que j’ai accepté de témoigner. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit. C’est l’histoire d’un jeune Juif et de ses tribulations en URSS…

C’est par hasard que ce livre est arrivé entre mes mains. Un train en retard, une connexion ratée, une conversation entamée, et puis le fil en aiguille et une mise en relation…

C’est aussi d’un hasard qu’est née l’histoire racontée dans ce livre, témoignage d’une vie vécue pour partie dans l’URSS des années 1939-1945. Cette vie est celle de Maurice/Moishe Drumlewicz, qui grandit dans une ville à quelques kilomètres à l’ouest de Varsovie ; en septembre 1939, lorsque l’Allemagne envahit la Pologne, il a 17 ans. Son grand-frère Henri/Hershl est dans l’armée polonaise prise en tenaille entre troupes allemandes et troupes russes, et c’est pour obtenir de ses nouvelles que Maurice part un jour vers l’est.

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Wiesław Myśliwski – L’Horizon

Je n’ai compris qu’à la mort de l’oncle Władek que je n’avais jamais vraiment quitté cet endroit. Leurs tombes à tous m’indiquaient en fait ma place dans le monde. Peut-être même qu’ici se trouvait le centre de mon horizon, car nulle part ailleurs je n’éprouve cette douleur déchirante qu’avec eux, c’est aussi moi qui meurs un peu, et pas seulement le monde qui m’entoure. Je le ressens de façon si banale, si évidente, que cette douleur devient un émerveillement, comme si je touchais à l’extraordinaire mystère de la beauté.

Publié il y a déjà plus de 25 ans, L’Horizon est un long et magnifique roman sur la vie, sur l’enfance, sur le royaume individuel de la mémoire et sur la possibilité de sa transmission. C’est aussi, de la part de son auteur Wiesław Myśliwski, une formidable leçon d’écriture, épousant les fluctuations de la mémoire et de l’imagination tout en se jouant des contraintes de la chronologie.

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Maryla Szymiczkowa – Madame Mohr a disparu

Une chose était évidente à ses yeux : en aucun cas Ignacy ne devait deviner que sa femme, au lieu de se consacrer aux occupations propres à son sexe, à sa position et aux règles d’un mariage honnête, folâtrait dans des bâtiments d’utilité publique à la recherche d’un étrangleur-assassin.

J’étais en vacances dans le sud de la Hongrie quand j’ai lu ce livre pour la première fois. C’était vers la mi-février, il faisait beau mais froid et, après une journée passée dehors, c’était assez agréable de passer la soirée avec un livre ou trois, au son du ronronnement soporifique, entrecoupé d’éternuements occasionnels, du vieux convecteur au gaz qui s’efforçait tant bien que mal de dissiper la fraîcheur ambiante. Madame Mohr a disparu, ce sympathique roman polonais, était vraiment une lecture appropriée pour ces soirées tranquilles, les dernières, d’ailleurs, avant le 24 février.

La traduction anglaise était déjà sur mes étagères, acquise par curiosité et sur la base de la confiance presque aveugle que j’ai envers le travail de la traductrice Antonia Lloyd-Jones, et après l’avoir écoutée dans un très réjouissant entretien avec les auteurs du livre au festival Noirwich (repéré grâce à MarinaSofia, merci à elle !). C’est donc cette traduction anglaise (Mrs Mohr goes missing) que j’ai d’abord lue mais, pour cette chronique, j’ai relu le livre dans la traduction française, publiée fin août par Agullo qui m’en ont gentiment fait parvenir un exemplaire.

A propos d’un précédent Agullo, justement, j’avais déjà écrit qu’en tant que lectrice je me situe « dans la catégorie « Agatha Christie », c’est-à-dire quelque part entre novice et débutant sur l’échelle de la violence et du glauque » (cela ne m’avait pas empêché d’apprécier ledit Agullo, qui se situe pourtant à l’autre extrémité de l’échelle). Madame Mohr a disparu se situe en tout cas dans cette même catégorie « Agatha Christie », ou dans ce qu’on peut appeler aujourd’hui le cozy crime. J’imagine cependant que les deux victimes du roman auraient beaucoup à redire au mot « cozy », la première ayant vu sa vieillesse tranquille abrégée par l’absorption d’un poison et la seconde ayant été retrouvée prématurément morte dans son lit quelques jours plus tard.

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Weronika Gogola – Par petits bouts

Par petits bouts est le cinquième roman de Belleville Editions (et premier roman de Tropismes Editions) que je lis : cinq romans très récents, pour cinq univers très différents. J’avais commencé avec L’empire de Nistor Polobok, ce petit roman de Iulian Ciocan sur la Moldavie post-soviétique, que j’avais décrit comme « une fable apocalyptique à l’humour grinçant ». J’avais continué avec Blue Moon, de Damir Karakaš, « portrait à la première personne d’un jeune lambda de Zagreb, à la fin des années 1980 ». Puis était arrivé Et on entendait les grillons, de Corina Sabău, « récit d’un drame personnel, dont la traductrice Florica Courriol contextualise également très utilement la dimension sociale dans son introduction », ce roman stylistiquement complexe étant celui d’une femme dans la Roumanie de Ceausescu. Le suivant, que je n’ai pas encore chroniqué, était celui d’un homme dans la Serbie d’aujourd’hui, le héros de Errance de Filip Grbic étant « un personnage égaré dans un monde où il ne trouve pas sa place ».

Et voici donc Par petits bouts, roman du quotidien, d’une enfant qui grandit et dans lequel il se passe à la fois beaucoup de choses et pas grand-chose. A vrai dire, j’hésite même à utiliser le mot « roman » tant le livre épouse, de manière visiblement autobiographique, le point de vue de cette enfant sur une vie qui n’a pas nécessairement besoin de l’intervention d’une autrice pour suivre son cours.

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