Dorota Masłowska – Polococktail Party

Pour ce dernier épisode de ma série sur les autrices contemporaines d’Europe de l’Est, me voilà de retour sur les bords de la Baltique, cette fois dans une petite ville de Pologne au tout début des années 2000. En toile de fond, l’animosité contre les Russes, qui culmine avec la « journée sans Russkoffs », donne une certaine couleur locale, mais le personnage principal pourrait venir de partout : il est jeune, il est désœuvré, il n’a pas beaucoup d’avenir ; son univers est composé de filles, de drogue, et d’une vision un peu tordue du monde.

Ce n’est qu’en préparant ce billet que j’ai fait le calcul : Dorota Masłowska est née en 1983, ce roman est paru en 2002. Elle avait 19 ans ! La traduction française a suivi dès 2004, l’anglaise en 2005… c’est cette dernière que j’ai lue. Elle porte le titre Snow White and Russian Red (« Blanc neige et rouge russe ») mais c’est avec le titre Polococktail Party que les éditions Noir sur Blanc l’avaient publié. En lisant ce roman, on n’a pas du tout l’impression que c’est le texte d’une si jeune femme tant la langue est particulière et aboutie, et aussi parce qu’il a un homme pour personnage central.

Andrzej Robakoski, dit « Le Fort » (« Nails » (Clous) dans ma version) est ce jeune homme désœuvré et accro que j’évoquais plus haut. Il est le personnage principal. Il est aussi le narrateur, ou plutôt il est la voix qui parle, parle sans se soucier de savoir qui l’écoute, ou si quelqu’un l’écoute. A la fin, alors qu’il se retrouve en prison, apparaît une jeune femme qui semble chargée de recueillir les éléments de son dossier, mais même alors c’est tout comme si « Le Fort » ne faisait que se parler à lui-même. Il n’est même pas sûr que la jeune femme (qui à une lettre près porte le nom de l’autrice) existe, ni la prison, mais on peut au moins supposer qu’il y a du vrai dans tout le reste de ce qui fait ce roman. Ce reste consiste en : Magda, qui au début du livre est en train de laisser tomber Andrzej pour quelqu’un d’autre de leur cercle de connaissances communes ; puis Angela, vêtue de noir jusqu’au bout des ongles et qui vomit des pierres (du moins c’est ce qu’il semble à Andrzej) ; suivie de Natasha qui déboule pour chercher de la drogue et ne manque pas d’idées pour se faire de l’argent facile ; il y a aussi une chienne qui meurt, un quartier repeint aux couleurs du drapeau polonais, quelques amis tout aussi paumés, et pas mal de délire psychédélique.

En tournant les pages de ce roman où les paragraphes s’enchaînent sans pause et sans découpage, j’avais l’impression de faire du sur-place ou au mieux de tourner en rond, comme cet Andrzej qui se fait le film de sa vie plus qu’il ne la vit. Hormis la curiosité de savoir ce qu’il va se passer jusqu’à la fin du livre, et où cette histoire de guerre masquée contre les Russes et leur contrebande va nous mener, c’est la langue du roman qui m’a donné envie de le lire jusqu’au bout : une langue hachée, avec un vocabulaire assez répétitif même lorsqu’il s’agit d’explétifs, mais qui forme au bout du compte le portrait d’un jeune homme qui n’a pas grand-chose à quoi arrimer sa vie. Dommage que je n’aie que la traduction anglaise sous la main, car une citation serait fort à propos ici pour illustrer ce que je viens d’écrire.

Tout ce roman se déroule avant l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, cette Union européenne dont « Le Fort » se méfie presqu’autant qu’il se méfie des Russes (et des Américains). Beaucoup de choses ont changé en Pologne depuis. Mais pour tous les Andrzej Robakoski qui existent sûrement encore, il n’y a pas beaucoup de Dorota Masłowska pour leur donner une voix.

On trouve aux éditions Noir sur Blanc deux autres romans (Chéri, j’ai tué les chats, 2013 ; Tchatche ou crève, 2008) et une pièce de théâtre (Vive le feu ! (On s’entend bien), 2011) de cette autrice qu’on lit encore en Pologne, mais qui semble n’avoir pas beaucoup marqué la sphère littéraire francophone.

Voici par la même occasion une dernière contribution à l’excellente initiative d’Eva, Patrice et Goran, le Mois de l’Europe de l’Est dédiée à la littérature d’Europe de l’Est.

Dorota Masłowska, Snow White and Russian Red (Wojna polsko ruska pod flagą biało-czerwona, 2002). Traduit du polonais à l’anglais par Benjamin Paloff. Black Cat, 2005. En français : Polococktail Party. Traduit en français par Zofia Bobowicz. Noir sur Blanc, 2004.


6 commentaires on “Dorota Masłowska – Polococktail Party”

  1. Madame lit dit :

    J’ai lu tout comme toi une autrice polonaise pour ce Mois de l’Europe de l’Est. Un titre original pour ton livre!

  2. […] Pologne : Dorota Masłowska – Polococktail Party (Noir sur Blanc, […]

  3. […] Polococktail Party, de Dorota Masłowska (Passage à l’Est !) – Noir sur blanc […]

  4. […] Polococktail Party, de Dorota Masłowska (Passage à l’Est !) – Noir sur blanc […]

  5. […] polonais : Polococktail Party (2002), de Dorota Masłowska ; L’Est (2014), d’Andrzej Stasiuk ; et Le journal d’un loup […]


Laisser un commentaire