[Carrément] à l’Est ! 5 – Anthologie de la famille Chu. De la Chine d’hier à la Taïwan contemporaine

Cinquième chapitre de ma série de lectures taïwanaises en 2023. Pourquoi Taïwan ? Je l’explique dans ce billet.

Anthologie de la famille Chu : le titre ne m’aurait pas inspiré plus que ça si je n’avais vu que la couverture. C’est plutôt le sous-titre qui a attiré mon attention. Le dernier train pour Tamsui, et autres nouvelles. Tamsui, c’est la ville à l’embouchure du fleuve du même nom, qui borde Taipei à l’ouest et, quelques kilomètres plus au nord, se jette dans l’océan. Aujourd’hui, on peut y accéder en métro, mais la nouvelle du titre date d’il y a presque quarante ans.

L’anthologie du titre se réfère au fait que ce recueil de nouvelles comprend neuf textes, de trois membres d’une même famille : le père, et deux de ses filles. Trois auteurs et, surtout en ce qui concerne les deux générations du père et de ses filles, des univers très différents.

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[Carrément] à l’Est ! 4 – Le cheval à trois jambes : Taïwan et ses multiples facettes en nouvelles

Quatrième chapitre de ma série de lectures taïwanaises en 2023. Pourquoi Taïwan ? Je l’explique dans ce billet.

Le cheval à trois jambes est le deuxième volume de l’Anthologie de la prose romanesque taïwanaise moderne, dont j’avais chroniqué le premier volume en février. Ce deuxième volume a paru en 2016 et, depuis lors, deux autres volumes ont paru chez le même éditeur : De fard et de sang porte sur les années 1960-1970 (présentation de la maison d’édition), et Félix s’inquiète pour le pays reprend le fil historique avec les années 1980 (présentation de la maison d’édition).

Alors que les nouvelles du recueil Le petit bourg aux papayers dataient de la période de l’entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale, celles du Cheval à trois jambes nous parviennent des années 1950 à 1980 : dans certaines, la guerre est encore présente, dans d’autres c’est une ruralité qui semble intemporelle qui est mise en scène, tandis que d’autres encore nous emmènent loin de l’île. Les sujets, les traitements sont divers – plus variés, il me semble, que les nouvelles du premier volume – et toutes les nouvelles ont laissé chez moi des traces pour une bonne raison ou pour une autre.

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[Carrément] à l’Est ! 3 – Orphan of Asia, un roman sur l’être taïwanais au milieu du XXe siècle

Troisième chapitre de ma série de lectures taïwanaises en 2023. Pourquoi Taïwan ? Je l’explique dans ce billet.

Orphan of Asia (L’orphelin de l’Asie) est un roman taïwanais écrit en japonais. A ma connaissance, il n’en existe pas de traduction publiée en français, ce qui est vraiment regrettable car c’est un livre bien écrit et un document très intéressant sur Taïwan dans la première moitié du XXe siècle. J’ai donc lu la traduction anglaise.

Bien que présenté sous la forme d’un roman, le livre est de nature très nettement autobiographique et retrace le parcours d’un homme né sur l’île et dont la vie correspond assez étroitement avec la période coloniale japonaise (qui va de 1895 à 1945 ; l’auteur, né en 1900, est décédé en 1976. Il a publié ce livre en 1945). C’est un homme instruit et bien intentionné, mais dont la vie sera toujours très fortement – et négativement – marquée par le fait qu’il est un sujet de l’empire japonais.

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Olga Tokarczuk – Récits ultimes

Pourquoi « ultimes » ? Et, d’ailleurs, pourquoi « récits » ? La deuxième question est la plus facile puisque, même s’ils sont tous de facture différente, ce sont bien trois « récits » qui composent ce roman d’Olga Tokarczuk.

Le premier, « Blanche contrée », est celui d’« elle » (Ida), à la troisième personne de l’indicatif présent, ce qui nous place au plus près de ses pensées et réactions. Le second, « Paraskewia, la Parque », est celui de « je », Paraskewia, qui se parle à elle-même dans la solitude de sa maison isolée par la neige. Le dernier, « L’illusioniste », est un autre « elle », Maya, écrit à l’imparfait avec toute la distance qu’il implique. Trois parties, donc, d’une écriture classique et fine mais qui amènent aussi à se poser la question de savoir à qui, en premier lieu, Tokarczuk et ses personnages adressent ces récits.

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Mars et ses nouveaux livres

On s’est à peine mis à lire les nouvelles parutions de février, et voilà déjà les nouveaux livres de mars qui arrivent sous la forme d’un heureux mélange de nouveautés et de classiques redécouverts ou réédités (je parle comme toujours de littérature en provenance de/sur l’Europe centrale, de l’Est et des Balkans). Aussi : un interlude autour de Kafka.

C’est un récapitulatif qui montre encore une fois qu’en termes de parité il y a encore du chemin à faire dans le domaine de la littérature en traduction. C’est le moment de remettre en avant mon article sur les autrices d’Europe centrale, de l’Est et des Balkans (il fête son quatrième anniversaire aujourd’hui ; il pourrait être mis à jour, mais il est déjà plein d’idées de lectures !).

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Stanislav Aseyev (Asseyev) : In Isolation

These days I’m Stanislav Vasin, the name under which I speak to you from these pages. And the first thing that I’d like to tell you is how it is that what once seemed impossible has become the way things are now.

[Ces jours-ci je suis Stanislav Vasin, et c’est sous ce nom que je vous parle depuis ces pages. Et la première chose que j’aimerais vous dire est que ce qui auparavant paraissait impossible est devenu la nouvelle réalité.]

J’ai lu ce livre peu après avoir terminé La fin de l’homme rouge, de Svetlana Alexievitch (que j’avais présenté tout début décembre dernier). Ce n’est qu’aujourd’hui que je vous propose cette lecture de In Isolation, du journaliste ukrainien Stanislav Aseyev (en français : Asseyev) mais, étant donné ses origines et son propos, j’aurais tout aussi bien pu publier ma chronique déjà le 10 décembre, Journée des droits de l’homme, et journée de remise du prix Nobel de la paix à trois individus et organisations issues de Biélorussie, d’Ukraine et de Russie. Ou le 24 février.

La méthode d’observation et d’écriture est différente mais, chronologiquement et d’une certaine manière logiquement aussi, ce livre reprend là où Svetlana Alexievitch s’était arrêtée avec La fin de l’homme rouge. L’enquête d’Alexievitch sur le devenir de l’ « Homo sovieticus » dans le territoire de l’URSS l’avait en effet menée jusqu’en 2012 ; les événements qui, en Ukraine, vont mener au mouvement de l’EuroMaidan, à la fuite en Russie du président Viktor Ianoukovytch, à l’invasion et à l’annexion de la Crimée, à l’auto-proclamation des « républiques populaires » de Donetsk (RPD) et de Louhansk (RPL), éclatent à la fin de l’année suivante et c’est avec un rappel des premières manifestations de novembre 2013 (lorsque Ianoukovytch fait marche arrière sur l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne) que s’ouvre In Isolation.

Au départ, ce n’est pas un livre en tant que tel mais plutôt une compilation d’articles de Stanislav Asseyev, journaliste né à Donetsk en 1989, resté au Donbass après 2014 d’où il écrit (sous pseudonyme) des chroniques pour divers titres de la presse ukrainienne – les hebdomadaires Tyzhden et Dzerkalo Tyzhnia, la branche ukrainienne de RFE/RL Radio Svoboda, et le journal en ligne Ukraïnska Pravda. En juin 2017, il est arrêté (kidnappé) par des agents de la RPD, contraint d’écrire une dernière chronique, et détenu jusqu’en décembre 2019. Des rangs amincis du journalisme de la RPD, il rejoint ceux bien mieux garnis des prisonniers politiques et c’est justement pour donner de la visibilité à son cas et obtenir sa libération qu’est publié cet ouvrage, d’abord en ukrainien et en russe en 2018 puis, l’année dernière, en anglais.

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[Carrément] à l’Est ! 2 – Le petit bourg aux papayers, un recueil de nouvelles taïwanaises d’avant-guerre

Deuxième chapitre de ma série de lectures taïwanaises en 2023, comme expliqué dans ce billet.

Le petit bourg aux papayers a été l’une de mes toutes premières lectures taïwanaises à Taïwan. Taïwan, telle que je l’ai perçue au quotidien (surtout mais pas uniquement à Taipei, la capitale), m’a parue si différente de l’île telle qu’elle apparait dans les nouvelles recueillies ici ! Existe-t-il encore, dans les mentalités et dans l’organisation sociale et urbaine de l’île, des traces de la période d’avant la Seconde Guerre mondiale, qui est celle des sept nouvelles du recueil ? Ma connaissance de Taïwan est absolument bien trop superficielle pour pouvoir donner une réponse un tant soit peu informée et je vais donc me contenter de dire que je n’en ai pas trop eu l’impression, ce qui n’est guère surprenant étant donné les changements politiques, sociaux, économiques, linguistiques et démographiques qu’a connu l’île au cours du XXe siècle.

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Maurice Drumlewicz – Tribulations d’un jeune Juif polonais en URSS entre 1939 et 1946

Personnellement, c’est devenu… Encore une fois, je dis moi mais c’est aussi les autres. Je l’ai vécu mais d’autres l’ont aussi vécu et parfois c’était pire, car ils n’ont pas toujours su se débrouiller. D’autres n’ont pas eu cette chance, ils n’ont pas eu ce culot, ils n’ont pas eu notre audace et ils n’ont pas survécu, ils sont morts de faim. C’est à eux qu’il faut penser. C’est pour eux que j’ai accepté de témoigner. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit. C’est l’histoire d’un jeune Juif et de ses tribulations en URSS…

C’est par hasard que ce livre est arrivé entre mes mains. Un train en retard, une connexion ratée, une conversation entamée, et puis le fil en aiguille et une mise en relation…

C’est aussi d’un hasard qu’est née l’histoire racontée dans ce livre, témoignage d’une vie vécue pour partie dans l’URSS des années 1939-1945. Cette vie est celle de Maurice/Moishe Drumlewicz, qui grandit dans une ville à quelques kilomètres à l’ouest de Varsovie ; en septembre 1939, lorsque l’Allemagne envahit la Pologne, il a 17 ans. Son grand-frère Henri/Hershl est dans l’armée polonaise prise en tenaille entre troupes allemandes et troupes russes, et c’est pour obtenir de ses nouvelles que Maurice part un jour vers l’est.

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Angel Wagenstein – Adieu Shanghai

Qu’en penses-tu ? Si tu le vendais, en tirerais-tu suffisamment d’argent pour nous deux ? Je pense à ton plan, là… Saigon, etc.

– Shanghai, rectifia machinalement le Hongrois.

– Bon, va pour Shanghai. C’est la même chose, non ?

La première fois que j’ai entendu parler de l’histoire des Juifs réfugiés à Shanghai pendant la Seconde Guerre mondiale, c’était à cause de ce roman. Shanghai ? Cela m’a paru vraiment incongru et tellement difficile à relier au reste de ce qu’on sait sur la guerre telle qu’elle s’est déroulée en Europe et en Asie. Après, j’ai feuilleté des livres sur des survivants de cette période (celui d’Irene Eber, par exemple), des récits de vie de personnes qui ont grandi à Shanghai dans des familles européennes juives ou non-juives (Sam Moshinsky, Liliane Willens, Clio Calodoukas), et même des livres d’historiens décrivant le statut de Shanghai et de ses habitants occidentaux du point de vue des politiques chinoises et japonaises pendant la guerre (Gao Bei). Prendre Shanghai, ville alors ouverte, cosmopolite et prospère, comme point de départ pour comprendre l’arrivée de Juifs d’Europe centrale à partir de 1938, plutôt qu’appréhender cette histoire directement à partir des réfugiés juifs qui avaient échoué là, rend tout de suite ce télescopage géographique bien plus compréhensible.

Mais rien de cela n’était d’un grand réconfort pour ces réfugiés ni, sur le plan fictionnel, pour les protagonistes d’Adieu Shanghai : pour le violoniste allemand Theodor Weissberg et son épouse la cantatrice Elizabeth, et pour l’actrice Hilde Braun, Shanghai est au mieux une destination inconnue, au pire une destination effrayante, et en tout cas la seule solution existante pour quitter l’Europe. De ces trois personnages, seuls deux sont juifs et la question de savoir qui est juif et qui est « purement » allemand est l’un des petits ressorts du roman.

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Lectures communes autour de l’Holocauste (3e édition) – un récapitulatif et des remerciements

Une semaine après la fin de nos Lectures communes autour de l’Holocauste, il est temps de rassembler et partager tous les billets. Tout d’abord, merci aux participants et participantes, à ceux et celles qui contribuent leurs lectures pour la troisième fois déjà, comme à celles qui se joignent à nous pour la première fois cette année. Nous avons été 19 participant.e.s, avec 43 contributions d’une grande diversité, que vous retrouverez listées ci-dessous (signalez-nous si nous avons oublié quelqu’un !).

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