Petit guide de la Hongrie, chapitre 8 : Miklós Mészöly – Mort d’un athlète

mort d un athleteDe tous les livres que j’avais choisis pour mon exploration de la littérature hongroise, Mort d’un athlète est celui dont je savais le moins, le titre et l’auteur n’apparaissant que rarement dans mes lectures autour de la littérature de ce pays. Le titre lui-même est tellement clair, tellement final, qu’il ne laisse pas beaucoup de place à l’imagination.

Maintenant, je l’ai lu, mais saurai-je dire de quoi il s’agissait ? Je n’en suis pas sûre, et pourtant ce n’est ni un livre long, ni un livre compliqué – du moins à première vue.

La première chose qui m’est venue à l’esprit en le terminant était la ressemblance avec Une école à la frontière : la mémoire, la reconstruction du passé érigée en sorte de devoir, sont des thèmes communs aux deux livres. Au delà, ce sont deux livres très différents : la vie que raconte Hildi, la narratrice de Mort d’un athlète, n’est en grande partie pas la sienne, et le récit est celui de ses souvenirs, de ses efforts pour reconstruire tout ce qui a fait l’homme qu‘elle a connu – son passé, sa famille, ses amis, ses pensées.

Bálint est cet homme, son compagnon, mais avant tout un athlète au sommet de sa gloire et voué à d’autres records. Mais l’homme, dont le corps commence déjà à lâcher prise, meurt dans une ultime course, seul contre lui-même dans un stade naturel formé par un vallon empierré. Accident, suicide ? Ce n’est pas tant la cause immédiate de la mort qui importe dans le récit (il n’y a pas d’autopsie, d’ailleurs), que les causes plus profondes du mal-être qui semble avoir hanté l’athlète.

Voici comment c’est arrivé : les responsables des Éditions sportives de l’État m’ont demandé d’écrire une sorte de mémoire sur sa vie, un mémoire assez concis et surtout sans excès de technicité. D’ailleurs, pour la technicité, mieux vaudrait, m’ont-ils dit, m’en rapporter à eux, c’est un terrain extrêmement scabreux, un champ de bataille où s’affrontent ambitions et griefs, jalousies individuelles et jalousies d’équipes. De moi, ils attendent autre chose. L’ouvrage, m’ont-ils suggéré, devrait pouvoir porter en sous-titre : Confidences sur un athlète hors concours ou quelque chose d’approchant. Quand on n’a jamais écrit, qu’on s’est contenté de vivre, on se trompe aisément sur les exigences de ce genre littéraire ; on s’imagine pouvoir coucher noir sur blanc tout ce que l’on a sur le bout de la langue. Mais moi, je suis sans illusions. Voila bientôt huit semaines que nous avons retrouvé son corps dans la Pierre Brûlée de Vlediassa. Il gisait, visage contre terre, parmi des troncs d’arbre calcinés et le soleil avait dardé sur sa nuque toute une journée. Les grosses fourmis rouges des montagnes s’étaient glissées en chapelets sous son maillot, y dessinant comme les traces de quelque mystérieux tatouage. Il portait les mêmes baskets rouge et noir qu’à la réunion de Prague, à la fin de l’été. Voilà les faits. Mais je sais qu’ils n’apprivoisent pas le papier ; ils le rendent, au contraire, plus rétif, plus indocile encore.

Nous voilà prévenus, dès le premier paragraphe, qu’il ne faut pas s’attendre à une histoire en ordre chronologique, avec une fin qui explique le début. Le récit est comme un premier brouillon, où Hildi suit le cours de ses pensées, passant d’un événement à un autre, sautant des années, en avant, en arrière, avec pour fil les questions qu’elle se pose sur l’homme assez insaisissable avec lequel elle a vécu. La construction est à l’image de ses pensées, sinueuse, quoiqu’ancrée dans des lieux, des moments qui peuvent lui apporter des réponses : l’enfance de Bálint dans son village de Tardos telle qu’elle lui a été racontée, une après-midi d’échappatoire pour le couple au château de Karlstein, les quelques jours de refuge à Vlediassa, et surtout la dernière compétition, à Bátakolas, devant un public de villageois amusés et intimidés.

C’est peut-être cet aspect introspectif, peu organisé, qui explique une partie de la difficulté du livre : tant de passages, de personnages, paraissent inutiles pour le développement de l’histoire déjà tellement courte et rendent plus flou le message du livre – si message il y a. Mais ils aident à transmettre la complexité du personnage de Bálint et, surtout, à entretenir l’atmosphère particulière, déstabilisante, du livre : les personnages de Réka, la belle-sœur de Bálint, et de son mari István, sont pour moi parmi les mystères du livre. Quelle est réellement leur relation avec Bálint, et comment les différentes manifestations de l’infirmité d’István, telles que Mészöly les décrit, aident-elles à comprendre la mentalité et les actions de Bálint ?

Réka elle-même est l’une des actrices du jeu d’ombre et de lumière que se livrent les quelques femmes naviguant à la périphérie de la vie sportive de Bálint et de sa relation avec Hildi. Réka, amante de Bálint, est une femme de l’ombre, plus anguleuse, plus sûre d’elle-même qu’Hildi, et dévouée au théâtre de marionnettes qu’elle voit comme son art. Elle forme un étrange contraste avec Piri, présente dès l’adolescence de Bálint, jeune femme plus jeune, plus impétueuse, moulée par le sport, le soleil et la vie à l’étranger. Chacune de ces deux femmes, à sa manière, représente un pan de la vie intérieure de Bálint, une vie inaccessible malgré le désir maintes fois émis de l’athlète de s’expliquer, de se disculper envers Hildi. C’est à celle-ci qu’il incombe d’essayer de reconstruire cette vie intérieure, mais où se place-t-elle dans cette constellation amoureuse ? C’est difficile à dire, tant elle dévoile peu d’elle-même, peut-être à l’instar de son rôle dans le couple et parmi les relations de Bálint. Outre qu’elle est enseignante, peu à l’aise avec son physique, et qu’elle a partagé dix ans la vie de Bálint, elle ne dit rien de son passé, de sa famille, de ses amis. Plus précisément son passé, sa famille, ses amis, ne semblent jouer aucun rôle dans la vie de Bálint telle qu’elle la raconte ici.

Tout cela donne un récit assez insaisissable, tout comme Bálint : s’agit-il de la vie du sportif Bálint, du dévouement complet que lui demande sa discipline ? Oui, mais il s’agit aussi de la vie de l’homme Bálint, de sa relation avec Hildi, du tiraillement entre sport, renommée et vie personnelle, du poids des pactes d’enfance, de la mémoire, de la difficulté à comprendre les autres et à se comprendre soi-même. Même s’il se lit assez facilement, c’est un livre exigeant envers le lecteur, et qui demande d’accepter de n’avoir pas de réponses aux questions que lance Mészöly (certains qui s’y connaissent mieux en -ismes littéraires rangent Mészöly dans la catégorie des existentialistes). J’espère lui avoir rendu justice dans ce billet.

Meszoly

Mort d’un athlète est d’abord publié en français dans l’édition du Seuil de 1965, et ce n’est qu’ensuite, en 1966, qu’est publiée la version originale en Hongrie. C’est aussi à partir de cette date que Mészöly, né en 1921 et décédé en 2001, devient un écrivain reconnu et accepté dans son pays d’origine malgré l’exigence de son écriture et des personnages qu’il crée. En français, on trouve aussi son Saul ou la Porte des brebis (Seuil, 1971) et ses Variations désenchantées (Phébus, 1994 ; « pseudo-roman » – aux dires de Mészöly – dont le titre d’origine est Il était une fois une Europe centrale), mais il est aussi l’auteur de recueils de nouvelles et d’essais écrites dès 1956.

Miklós Mészöly, Mort d’un athlète (Az atléta halála, 1966). Trad. du hongrois par Georges Kassaï et Marcel Courault. Seuil, 1965.


13 commentaires on “Petit guide de la Hongrie, chapitre 8 : Miklós Mészöly – Mort d’un athlète”

  1. heureuse de vous retrouver après cette petite pause vacancière

  2. hauntya dit :

    J’ai essayé de le lire ! Mais j’ai abandonné au bout de cinquante pages. Même en forçant je n’arrivais pas à avancer. L’histoire de cet athlète avait vraiment du mal à me passionner assez…mais j’avais assez avancé pour voir les deux portraits contraires de Piri et Réka, qui formaient un beau jeu de contraste, opposant presque deux périodes de la vie de l’homme…c’est surtout assez étrange que Balint semblait posséder une vie « vide » en dehors de tout ce qu’il avait pu accomplir. Les mots reflétaient bien cela : ça rejoint le sentiment d’insaisissable que tu décris…

    • Dommage! C’est vrai que l’histoire est difficile a cerner, entre toutes les époques qui se mélangent, les personnages, le style… J’espere que le livre suivant te plaira davantage si tu te joins encore a moi.

      • hauntya dit :

        Oui, c’était assez déstabilisant, sans être inintéressant. Je me pencherai sur le livre prochain oui, normalement, tous les livres à venir sont disponibles en bibliothèque 🙂

      • Super! Il faudra s’accorder sur une date si on fait une lecture commune. D’ailleurs, le Tibor Déry a l’air aussi d’etre passé a la trappe. Trop long?

  3. hauntya dit :

    Vers le vingt comme on avait dit une fois ? Ca me paraît bon.
    Oui, je n’ai pas pris le temps de le lire (J’étais en plein stage et rédaction de mémoire)

  4. […] à leur façon, Une école à la frontière de Géza Ottlik (1959, un classique en Hongrie) et Mort d’un athlète de Miklós Mészöly (1966, réputé plus difficile) reviennent sur les vies de leurs protagonistes […]

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